Le Jour du Four Banal...
La Vilette près Vaujany. Isère Août 2009
Nan s'était levée plus tôt que d'ordinaire. Comme à chaque15 Août qui avait déjà jalonné sa courte vie, la gamine était debout à l'heure où s'en vont paître les biques. L'air était vif mais on y sentait déjà les odeurs de bois brûlé qu'on avait mis au feu toute la nuit durant.
Sitôt la porte de sa masure refermée elle avait couru rejoindre les hommes dans ce réduit austère qu'ils appelaient pompeusement le "laboratoire". C'est là que sorties du gigantesque pétrin, les miches de pain allaient être mises en forme avant qu'on ne les emmène au four sur de grandes planches de bois.
Aujourd'hui était un jour exceptionnel. Non pas dans le fait que tout un chacun s'improvise boulanger, mais parce que pardi, c'était surtout son anniversaire. Nan aimait cette effervescence qu'elle prenait pour elle secrètement. Elle aimait que ce jour là soit un jour de fête et elle mis la main à la pâte avec une énergie incroyable.
La Vilette près Vaujany. Isère Août 2009
Une cinquantaine de boules de seigle s'alignaient sur les étals de bois lorqu'elle décida de remonter près du four. On avait depuis quelques heures retiré les braises encore rouges et on aurait cru la pierre endormie s'il n'avait fait si chaud près de la voûte. Le four garderait ainsi sa chaleur encore longtemps après la cuisosn du pain, et les femmes du village viendraient y faire mijoter qui un gratin, qui une tarte bien après que les derniers pains soient sortis.
Elle regarda le boulanger rentrer les boules les unes après les autres, les mettre en bonne place et refermer le four. Elle eut le sentiment que l'attente n'en finissait pas et que le pain, son pain serait trop cuit, forcément trop cuit puisque ça prenait tellement de temps.
La Vilette près Vaujany. Isère Août 2009
Lorsqu'enfin elle eu de nouveau le droit d'entrer dans la four, ce fut pour écarquiller tant les narines que les yeux devant le spectacle. La paline s'étendait comme une main immense pour aller chercher les pains dans le ventre chaud de la pierre. Elle devinait la saveur, le croustillant et le plaisir qui se dégagerait de chaque miche.
La Vilette près Vaujany. Isère Août 2009
Il faudrait cependant attendre encore un peu, car si ce cadeau de mie se gardait près de deux mois comme un savoureux cadeau, sa dégustation ne serait parfaite qu'au lendemain de sa cuisson. Nan ne tiendrait pas jusque là.
Furtivement elle chaparda une miche qu'elle enfouit dans son tablier.
Elle partit un peu trop précipitamment pour qu'on ne le remarque pas. D'autant qu'à chaque 15 Août qui avait déjà jalonné sa courte vie, chacun ici savait qu'elle passait une grande partie de la journée, cachée, à dévorer son larcin...
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Je me suis demandée d'où venait l'expression "Four Banal". Elle date en fait du Moyen Age . Selon Wikipédia, les banalités sont, dans le système féodal, des installations techniques que le seigneur est dans l'obligation d'entretenir et mettre à disposition de tout habitant de la seigneurie. La contrepartie en est que les habitants de cette seigneurie ne peuvent utiliser que ces installations seigneuriales, payantes. Ce sont donc des monopoles technologiques.
Les principales banalités sont :
- le four banal
- le moulin banal
- le pressoir banal
- le marché aux vins
Un autre droit seigneurial était la banalité de tor et ver, donnant au seigneur seul le droit de posséder un taureau ou un verrat. Ainsi la reproduction du bétail pouvait aussi être sujette à redevance.
Ces privilèges, théoriquement abolis le 5 aout 1789, ne le seront effectivement qu'en 1793.